Jean-Pierre Chabrol
  "Les Chabroliens" - Association des enfants et amis de Jean-Pierre Chabrol

Une hospitalité austère

Bien des visiteurs de la Cévenne ont reproché à Chabrol d'avoir rêvé l'hospitalité cévenole. Dans ce domaine aussi les temps ont sans doute changé et le paysan ou le commerçant cévenols sont bien souvent contraints de gagner leur vie - et leur droit de survivre au pays - en " profitant " de la présence des vacanciers pendant les deux mois d'été.

L'hospitalité du Clerguemort des Rebelles était d'une autre nature. La Cévenne d'alors était bien celle que chante l'écrivain :

" Ma Cévenne farcie d'Espagnols comme une chanson de Ferré, ma Cévenne si belle d'avoir été métissée par les paumés de toutes les guerres, de toutes les dictatures, de toutes les misères venus chez nous le ventre vide et les yeux tendres pour la travailler, la défendre et l'aimer ".

L'arrivée - et l'intégration - à Clerguemort d'une famille italienne se déroulent selon des " rites " très précis. L'intégration ne coule pas de source, il faut la mériter :

" Les Sarrasins couchèrent d'abord dans un fossé. Pas pour longtemps, pour le village, le temps de les connaître, de les reconnaître ; la première chaleur de Clerguemort leur vint le l'âne et de l'agneau. [...]Dès l'aube, Giuseppe Passola partit à la recherche du travail. Il ne demandait même pas de quoi il s'agissait, il acceptait d'avance. [...]Quinze jours après les mineurs le saluaient : "Au moins, il n'est pas fainéant, ce Sarrasin !" Puis les mineurs l'invitèrent à boire un coup, il accepta, ce fut très dur parce qu'il n'avait pas soif, faim seulement, faim toujours ; il se battit pour qu'on lui laisse rendre les tournées, ce fut pire : ces nuits-là, ses quatre gosses, jusqu'à l'aube, se tordirent de faim ; Giuseppe connaissait les lois des petits peuples besogneux, il en souriait de bonheur. [...]Cinq ans plus tard, les Sarrasins avaient une maisonnette bien à eux, la plus coquette, la mieux construite de la vallée. Ils avaient une adresse. [...] Il faut avoir couché sous les ponts pour savoir ce que ça représente. [...]Pour les faire définitivement de Clerguemort, le malheur devait frapper au moins une fois à la porte des Sarrasins. Ils perdirent leur second fils, Fausto, emporté par le croup à l'âge de six ans. [...] Désormais les Sarrasins avaient leur mort dans notre terre, ils étaient eux aussi la Cévenne. " (L.R., p 111 à 117).

Toutes les valeurs - réelles et mythiques - de la vieille Cévenne se trouvent réunies ici, aussi bien du côté des Sarrasins que de celui des habitants de Clerguemort, auxquels ils s'intègrent de façon parfaite : droiture, pauvreté, âpreté au travail, mise à l'épreuve, rédemption par la souffrance, fusion complète avec la terre ...

Une terre d'harmonie


Malgré ses éclats, malgré ses orages, malgré ses excès, " Clerguemort " reste pour Jean-Pierre Chabrol une terre de refuge, un havre d'équilibre et de paix, un lieu où il est encore possible - pour combien de temps ? - de se " ressourcer ". Si vous êtes de ceux qui ne trouvent pas ridicule d'effectuer cette promenade livre en main, si vous êtes de ceux pour qui un mineur retraité cultivant son jardin ne prête pas à sourire, si vous êtes capable de le regarder autrement qu'un Yankee regarde un Indien dans sa réserve, achevez votre parcours sur les dernières lignes de La Gueuse :

" Entre la rivière et le chemin, le Pétardur mettait l'eau dans ses haricots. Le vieux mineur déplaçait, à gestes précis, d'une grande délicatesse, les diguettes de pierres plates qui fermaient les rigoles. Pendant que l'eau allait jusqu'au bout du carré de haricots nains, il s'occupait ailleurs, à couper les rejets de ses tomates, à rincer la touffe de persil qu'il ramènerait tout à l'heure chez lui... Il ne restait pas un instant inactif et pourtant ses gestes, ses attitudes étaient d'une lenteur pleine de mesure, on eût dit qu'il s'en exprimait une sagesse. Le soleil avait disparu derrière le Lozère, la terre buvait l'eau du Pétardur. Une fraîcheur veloutée commençait à descendre des crêtes. [...] Le mineur-paysan, dans son jardin, au cœur de son pays, l'ombre fraîche descendant sur la Cévenne, cela formait un spectacle d'une indicible beauté. Non, cela n'avait rien à voir avec le bonheur, ni le bonheur pour tous, ni le bonheur d'un seul. C'était de la musique, les accords s'enchaînant sans une fausse note ; une harmonie, celle d'un homme en accord avec sa terre, avec son cœur, avec son temps, avec les minutes qui passent, avec chacune d'elles...Les crapauds commencèrent à chanter. Le Pétardur se roula une cigarette, l'alluma et, par-dessus ses haricots grimpants, lança la première bouffée au ciel. " (L.G., p. 625) - Mais dépêchez-vous : il ne reste plus guère de mineurs-paysans pour donner à boire à des haricots !

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